La vie de l’esclave



"La quatrième conférence du CM98 portait ce dimanche 27 janvier à Saint-Denis sur la vie de l’esclave. Un sujet a priori anodin tant nous avons l’impression d’avoir tout entendu à ce propos. Franck Salin (dit Frankito), historien et conférencier de cette fin de semaine, nous prouvera le contraire.

Tout d’abord, il convient de comprendre ce que recouvre ce vocable d’esclave. Le Petit Robert, nous explique l’intervenant, le définit comme un être privé de liberté. Une définition un peu courte, largement étoffée par le Code Noir (1685-1848) de sinistre mémoire au travers de différents articles.

Le plus révélateur d’entre eux est sans conteste l’article 44, qui définit les esclaves comme des « meubles », complété par l’article 30 qui leur interdit d’« être pourvus d’offices ni de commissions… » et, enfin, par l’article 12 qui fixe la condition héréditaire des esclaves : « Les enfants qui naîtront de mariages entres esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents. »

« Le fouet est partie intégrante du régime colonial ».

Pour parachever le tout, le code Noir qui régissait de manière précise la vie des esclaves a été augmenté de recueils de conditions particulières qui adaptaient les règles à la situation locale. Ainsi le Code la Martinique a été édité en 1767 et le Code de la Guadeloupe et de ses dépendances en 1769.

L’esclave vivait ainsi dans un régime répressif. Avec le poids de l’Etat, via le Code Noir et les différentes lois, l’Eglise, dont le rôle était de christianiser les esclaves et de leur enseigner la soumission, et, bien entendu, le maître, expert en tortures psychologiques et violences physiques pour dominer ses esclaves.

Victor Schoelcher le dira lui-même : « Le fouet est partie intégrante du régime colonial ». L’idée de base était simple : façonner les esclaves dès leur plus jeune âge pour les créoles, nés dans les îles, et dès leur arrivée pur les « bossales », ceux arrivés d’Afrique.

Les esclaves logeaient dans des cases. Généralement, une « pyès kaz » de 15 m² ou un « dé pyès kaz ». Le toit de la case était en paille, les murs en planche ou en gaulette, ou encore en bouse de vache. Le sol en terre battue accueillait, dans le meilleur des cas, des paillasses et le mobilier de cette case mal aérée était des plus spartiates.

La vie quotidienne

La vie de l’esclave était rythmée par les récoltes. La culture de la canne à sucre, étant largement majoritaire, les esclaves voyaient l’année, les mois les semaines et les jours défiler en fonction des exigences de la canne. Ainsi, de décembre à juillet, c’était la période de « roulaison », coupe de la canne, transport dans les moulins, etc., de juillet à septembre la « sarclaison » et de novembre à décembre, le nettoyage et l’entretien des champs.

Ramené à la semaine, l’emploi du temps de l’esclave était le suivant : lundi au vendredi « travay a blan-la ». Le samedi étant consacré au jardin (samedi jardin) et le dimanche au repos dominical. Mais il n’était pas rare en période de roulaison de travailler le weekend et même la nuit. Car l’esclave était avant tout un travailleur.

Levé à 5 heures du matin, une demi-heure avant l’aube, l’esclave n’avait guère de répit avant 18 heures, heure à laquelle nombre d’entre eux allaient s’occuper de leur jardin pour y planter ou récolter de quoi survivre. Car, si le maître devait leur assurer la subsistance, il s’acquittait rarement de cette obligation se déchargeant souvent sur le jardin de l’esclave.

Et qu’y récoltait-on ? Principalement du manioc, base de l’alimentation, des ignames, des pois. L’esclave souffrait d’une carence évidente de protéines, car la viande faisait cruellement défaut. Il allait la chercher dans les crabes qu’il chassait pour compléter son alimentation. Ce mode de vie, provoquait de nombreuses maladies et bien entendu une mortalité importante.

On estime l’espérance de vie des esclaves à 40 ans. A la fin du 18e siècle, le taux de mortalité se situait à 40 pour mille habitants à la Guadeloupe et 50 pour mille à la Martinique. A comparer avec les 34 pour mille en France métropolitaine pour la même période.

Désir de liberté

Il n’est donc pas étonnant que dans un tel système les esclaves aient la même aspiration : la liberté. Mais, les voies pour y arriver n’étaient pas simples. Le marronnage est le moyen le plus connu. Cette pratique était toutefois très marginale en Guadeloupe et en Martinique, notamment en raison de la faible superficie des deux îles.

Les révoltes n’ont pas connu plus de succès. Elles ont toutes échoué. Saint-Domingue fait figure d’exception avec le soulèvement de 1791 à 1804 qui a entraîné l’indépendance de l’île et la création d’Haïti, première République noire. Dans les autres Antilles françaises, l’espoir était ailleurs.

Nombreux sont les esclaves qui espéraient être affranchis par leurs maîtres en récompense de bons et loyaux services. D’autres comptaient sur la voie du métissage pour quitter la malédiction de l’esclavage, et d’autres encore tentaient d’amasser un pécule en vue de racheter leur liberté.

Il existait aussi des cas de la « liberté savanne », des esclaves libres de fait, à la suite d’un marronnage ou encore parce que leur ancien maître rechignait à payer le notaire pour leur accorder la liberté sur le papier.

Nos aïeux

« Nos aïeux esclaves ont vécu une vie de labeur difficile et déshumanisante », conclura Franck Salin. Un système reposant sur le contrôle social et la division. Et Frankito d’aller plus loin dans son exposé en demandant à l’assistance visiblement passionnée, qu’est-ce qu’il est advenu, après deux siècles d’esclavage, de ces hommes et de ces femmes que la France à libérés.

La question reste ouverte. Une partie de la réponse nous sera certainement apportée lors de la prochaine conférence sur la saga familiale des Gordien et Colin, présentée par le Dr Emmanuel Gordien, intitulée : « Comment j’ai retrouvé mon aïeul esclave ». Un exposé qui nous montrera que les esclaves, nos arrière-grands-parents, sont vraiment très proches de nous."

Extrait du site CM98

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